Gasbaoui avocats
LA DéMISSION DE L'EXPERT-COMPTABLE

La présente lettre et celles qui suivront chaque mois sont issues de cas judiciaires, desquels sont induites quelques leçons à retenir, et donc quelques conseils à délivrer à vos clients.

La démission de l'expert-comptable
des impératifs contradictoires ?

La mission de l'expert-comptable est complexe dans son esprit : professionnel tenu au secret professionnel devant assister son client dans le cadre de la lettre de mission qui les lie, il est aussi tenu d'appliquer et de faire appliquer la loi (article 143 du Code de déontologie des experts-comptables).

Si a priori ces exigences n'ont rien de contradictoire, la pratique révèle que selon les intérêts poursuivis il y aura parfois divergences.

Tout est une question de perspectives, et c'est précisément dans ces circonstances que l'expert-comptable est exposé à un risque.

Le client, lui, ne voit en général que les échéances fiscales, et en tout état de cause exige que les déclarations soient établies et que les comptes annuels lui soient transmis dans les délais, sans s'interroger sur sa propre responsabilité : a-t-il adressé les pièces justificatives suffisamment tôt, est-il même en possession desdites pièces, sont-elles régulières et sincères ?

Or, le client oublie l'essentiel : l'expert-comptable, selon une formule désormais connue, n'est pas un simple scribe.

Son rôle ne « saurait se limiter à un rôle de scribe pour la simple collecte des éléments fournis par l’entreprise et la mise en forme de la présentation finale de ces comptes (…) la mission de présentation des comptes est une mission d’opinion justifiant de la part du professionnel du chiffre la manifestation d’un esprit critique sur les éléments qui lui sont fournis ». (Cour d’appel d’Orléans, 24 nov. 2008, RG n°06/030690)

C'est précisément ce rôle critique qui le mettra en porte à faux s'il a été négligent, et qui fera dire à un juge pénal qu'il a pu être le complice de son client.

La question de la dÉmission se prÉsente donc dans un contexte difficile

  • D'un côté, un client qui n'hésitera pas à mettre en cause son expert-comptable sur le plan civil, en expliquant, par exemple, que si les déclarations fiscales n'ont pas été établies dans les délais c'est à cause de la démission de celui-ci ;
  • De l'autre, un juge pénal qui pourrait tenter de retenir une complicité de comptes non fidèles ou de fraude fiscale si la comptabilité renferme des anomalies qui auraient échappé au même expert-comptable décidant de maintenir sa mission.

Il est parfois possible d'éviter ces deux risques (I.) mais il est des cas où il faut savoir choisir le moins pire (II.).

Il est bien évident que les lignes qui suivent et celles qui précèdent visent la situation où l'expert-comptable a repéré des anomalies ou nourri des doutes fondés sur celles-ci et ne concernent pas les cas, hélas les plus répandus, où le client est parvenu à duper son expert-comptable. Dans ces circonstances il va sans dire que l'expert-comptable ne se pose pas la question de la démission !

I - LA DÉMISSION SANS RISQUE

Nous partons là du postulat que le choix de la démission est arrêté.
La raison en est simple : il n'est plus possible d'assister le client sans s'exposer à un risque sur le maintien de mission. (Voir notre article ICI)

Quelques prÉcautions formelles doivent Être prises

Tout d'abord, la fin de mission doit être datée et écrite. Elle doit clairement exposer les raisons de la rupture, et doit dans l'idéal faire suite à une mise en demeure, pas forcément au sens technique du terme, mais l'idée est que le client doit comprendre que c'est son attitude qui conduit l'expert-comptable à démissionner.

Par exemple :
« Cher Monsieur à la suite de nos demandes du X et du X, nous constatons que nous n’avons toujours pas de pièces justificatives concernant les opérations du X et du X. Dans ces conditions, et comme nous nous l’avons déjà indiqué, il ne nous est pas possible de poursuivre notre mission »

Les raisons d’une démission sont hélas assez classiques : les pièces justificatives ne parviennent pas au cabinet, certains flux sont douteux et laissent à penser que des infractions sont commises, certains ratios sont anormaux, etc.

Ensuite, cette démission doit intervenir suffisamment tôt, si possible plusieurs mois avant la clôture de l’exercice.
Plus la résiliation est brutale et proche de ladite clôture, plus les précautions formelles doivent se multiplier.
Bien souvent, le client qui annonce les justificatifs à venir n’est pas convaincant. Il faut lui écrire dès ses premières promesses orales que le temps passe et que la date de clôture approche.
Cela étant, le problème tient le plus souvent aux délais tardifs et au risque de mise en cause pour rupture brutale de sa mission, plaçant le client face à une impossibilité d’établir la comptabilité.

L’expert-comptable ne doit toutefois pas se laisser piéger, et revenir aux fondamentaux.

II - LA DÉMISSION : UN RISQUE À PRENDRE

Face à un client procédurier mais qui n'est pas diligent, la démission est un risque à prendre.
Plus précisément, entre un risque de mise en cause devant un juge civil, par le client, et un risque de mise en cause pénale, comme complice du client, il faut toujours préférer le premier.
D'autant que si ladite démission a été correctement formalisée et motivée, le client sera débouté. Il faut en effet garder présent à l'esprit que le client doit travailler en collaboration avec son expert-comptable.

Suivant une formule classique des lettres de mission : il s'engage à mettre à la disposition du professionnel comptable, dans les délais convenus, l'ensemble des documents et informations nécessaires à l'exécution de la mission (…).

C'est dire qu'en cas de démission, ce n'est pas l'expert-comptable qui est défaillant, mais bien le client, qui ne répond pas à son obligation. Soit il est négligent et en l'absence de pièce justificative il n'est pas possible d'établir des comptes, soit il est malhonnête, et dans la mesure oû l'expert-comptable s'interroge sur la réalité de l'activité, l'existence de faux, ou tout autre anomalie, sa seule réponse tient dans la démission.

La Cour d'appel de Pau rÉsume trÈs bien cette problÉmatique

_Les travaux d'établissement de comptes par un expert-comptable « ne pouvaient être finalisés qu'en conformité avec les règles comptables, fiscales et mêmes pénales en retraçant des opérations conformes au droit ;
_L'expert-comptable est en droit d'exiger les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission et qu'en cas de refus ou comme en l'espèce de coopération de son client, il est en droit de se démettre de la mission qui lui a été confiée ». (CA Pau, 2 novembre 2009, n°08/00284).

Est-ce à dire qu'un expert-comptable doit systématiquement démissionner face à un client négligeant ?
Evidemment pas, mais il doit s'en tenir à sa déontologie : si un doute existe et que le client n'a pas su le lever en répondant à sa question, la méfiance qui s'installe doit le conduire sur cette voie. Contrairement au commissaire aux comptes, l'expert-comptable est donc condamné à faire confiance ou à abandonner sa mission en cas de difficulté trop grave pour ne pas s'exposer à un risque.

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