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RETOUR SUR QUELQUES PRÉCAUTIONS |
En matière de rémunération, l'expert-comptable sera toujours bien inspiré de délivrer quelques conseils simples en prenant les précautions qui suivent.
1. Les précautions d'information au moment de la création de la société
La jurisprudence visant les SARL a dégagé le principe suivant lequel la rémunération du gérant doit être déterminée par les statuts et, à défaut, par une décision collective (Cass. com., 25 sept. 2012, n° 11-22754).
Cette rémunération, lorsqu'elle est votée en assemblée générale, est fixée, si les statuts n’en disposent autrement, à la majorité simple, et ne constitue pas une convention réglementée.
La Cour de cassation le rappelle régulièrement, comme en témoigne par exemple un bel arrêt, rendu en 2011 (Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-23.398) :
« La détermination de la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée par l'assemblée des associés ne procède pas d'une convention, ce dont il résulte que le gérant associé, fût-il majoritaire, peut prendre part au vote, la cour d'appel a violé les textes susvisés. ».
Cet arrêt révèle également la portée de cette solution, puisqu’en l’espèce, le gérant majoritaire avait voté une rémunération correspondant à 50 % de l’excédent brut d’exploitation, privant le minoritaire de la possibilité d’avoir des dividendes.
Or, si la notion d’abus de majorité existe, elle est rarement efficace du fait des conditions cumulatives dont elle suppose la réunion, à savoir la contrariété à l’intérêt social et la rupture d’égalité entre majoritaires et minoritaires (Cass. com., 18 avr. 1961, n° 59-11.394).
À cet égard, comme en témoigne un récent arrêt, la contrariété à l’intérêt social ne saurait suffire en l’absence de rupture d’égalité (Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-15.614). Mais l’inverse est également vrai : la rupture d’égalité est insuffisante en l’absence de contrariété à l’intérêt social (Cass. 3e civ., 18 avr. 2019, n° 18-11.881).
Les conditions sont ainsi cumulatives. Il faudra donc pour espérer voir prospérer l'action des minoritaires démontrer que les majoritaires perçoivent des ressources excessives et que cela se fait non seulement au détriment de la structure mais aussi des minoritaires.
Il ressort de tout ce qui précède qu’un gérant associé minoritaire pourra non seulement être révoqué mais ensuite se trouver dans une situation où le nouveau gérant, majoritaire ou placé par les majoritaires, de fait, pourra le priver de dividendes sans qu’une action en justice puisse le protéger.
La réaction judiciaire ne lui sera alors pas forcément favorable.
Pour le dire en d'autres termes et plus trivialement : un associé majoritaire fait (presque) ce qu'il veut !
Dans ces conditions, l'associé minoritaire, parfois celui qui porte l'idée, devra être informé des faiblesses de sa position et des risques que son projet lui échappe.
Cette précaution au moment de la constitution doit se poursuivre au moment du vote de la rémunération.
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2. Les précautions dans le vote de la rémunération
La question du vote de la rémunération est redoutable dans les SARL. À défaut de fixer précisément le montant de la rémunération du gérant dans les statuts, une décision collective doit intervenir annuellement (Cass. com., 15 mars 2017, no 14-17.873). Il n'en va différemment que lorsqu'une décision collective est venue fixer un montant fixe et durable, avec éventuellement un mode de calcul concernant une part variable. Dans ce cas, la rémunération doit alors être versée tant qu'elle n'est pas révoquée (Cass. com., 21 juin 2017, no 15-19593).
Mais bien souvent, il n'est pas possible de fixer la rémunération en amont, celle-ci étant corrélée fortement à l'activité de la société.
L'évidence juridique se heurte aux réalités économiques.
En conséquence, l'habitude se prend de valider a posteriori la rémunération.
Ainsi, les prélèvements sur l'année N, seront validés au moment de l'AGO de l'année N + 1.
On pourrait s'interroger, et à l'extrême imaginer que les prélèvements pourraient encourir la qualification d'abus de biens sociaux, en ce sens que le gérant n'a pas été autorisé, comme le demande la loi, à prélever les fonds.
Une telle interprétation serait exagérée, car c'est la réalité du travail qui compte. Dès lors que le gérant s'implique dans l'intérêt de la société et que sa rémunération n'est pas disproportionnée par rapport au travail fourni, il n'y a pas lieu de s'inquiéter (Cass. crim., 23 mars 1992, n° 90-822) mais le problème se posera si l'assemblée générale refuse l'approbation.
Le dirigeant pourrait alors être contraint de rembourser.
Autrement dit, la possible intervention d'une AG a posteriori expose le dirigeant à un risque de remboursement de ses rémunérations. (Cass. com., 15 mars 2017, préc. ; Cass. com. 9 janv. 2019 n° 17-18.864 ; Cass. com. 18 déc. 2019 n° 18-13.850).
On sera là encore bien inspiré de conseiller une intervention en amont, l'AG d'approbation des comptes de l'année passée, fixant la rémunération pour l'année en venir, pourquoi pas en s'autorisant une formule « rémunération dans la limite de ».
Enfin, troisième grand classique : il faudra penser à inclure les cotisations sociales.
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3. Les précautions sur le contenu de la rémunération : inclure les cotisations sociales
Les gérants majoritaires et les gérants, associés ou non, appartenant à un collège de gérance majoritaire, relèvent à titre obligatoire de la sécurité sociale des indépendants (CSS art. D 661-1, 2° ; anciennement régime social des indépendants, RSI). En principe, les cotisations sont donc dues à titre personnel par le gérant lui-même et non par la société (Cass. soc., 4 mars 1999 n° 96-14.229).
Ainsi, la pratique, bien ancrée, voulant que les cotisations sociales soient réglées par la société est en réalité anormale.
Elle est juridiquement possible seulement si elle correspond à une augmentation de la rémunération brute du gérant.
Et bien entendu, pour cela une décision collective ou un accord des associés en ce sens (CA Paris, 2 juin 2020, n° 18/23074) doit intervenir.
Dans ces conditions, et particulièrement en période de COVID où l'appel de cotisations est repoussé, on prendra soin d'enregistrer ces cotisations en charge compte « 641. Rémunérations du personnel » et de les porter, si on a pu en faire l'estimation, en compte courant d'associé, au crédit.
Une fois encore, c'est le gérant associé qui doit les sommes à l'URSSAF et non la société qui n'en est nullement débitrice : les cotisations du gérant sont personnelles. Bien sûr en pratique, au moment de l'appel, le compte courant sera débité et le paiement pourra se faire directement par la société.
Il s'agit là certes d'une question de formalisation, mais dont l'importance pourra se révéler capitale en cas de contentieux !
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© 2020 JULIEN GASBAOUI |
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