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Dispositif TRACFIN ou l'histoire d'une dérive

La présente lettre et celles qui suivront chaque mois sont issues de cas judiciaires, desquels sont induites quelques leçons à retenir, et donc quelques conseils à délivrer à vos clients.

Dispositif TRACFIN ou l'histoire d'une dérive

La parution de la nouvelle norme LAB du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables est l'occasion de revenir sur l'histoire de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

L'obligation de déclaration de soupçon, en rendant obligatoire la violation du secret professionnel et la délation de son client, constitue une exception a priori contraire à l'esprit qui anime tout professionnel libéral.

En effet, même si la déclaration n'est pas directement adressée à l'autorité de poursuite, TRACFIN fait suivre volontiers tout dossier méritant un traitement judiciaire.

C'est dire qu'il n'est nul besoin de tergiverser : en déclarant à TRACFIN un soupçon, l'expert-comptable met son client entre les mains du procureur de la République.

Or, précisément, ce sont les termes de blanchiment et, surtout, de terrorisme, qui ont aidé les plus récalcitrants à franchir le rubicon et à se défaire de leur culture libérale : comment s'arc-bouter sur son secret professionnel, en conscience, face à de tels dangers ?

En réalité, la formule et l'interprétation qui en a été faite sont trompeuses au moins à trois égards.

Tout d'abord, la lutte contre le terrorisme constitue une part marginale des déclarations reçues et de l'analyse conséquente. C'est heureux, certes, puisque cela signifie surtout que le terrorisme reste marginal, mais le fait d'accoler les deux termes « blanchiment » et « terrorisme » procède d'un raccourci un peu facile, confinant au slogan de campagne.

Juridiquement, le blanchiment implique un flux entrant ; il correspond à des fonds provenant d'une infraction. Le financement du terrorisme procède, lui, d'une logique inverse, on pourrait plutôt parler de noircissement, en ce sens que des fonds parfaitement propres peuvent financer du terrorisme : c'est donc leur destination qui pose problème et non leur origine !

La deuxième tromperie tient au cantonnement de la déclaration ; il faut insister sur ce point, le claironner : le blanchiment implique un flux entrant et nécessairement entrant. Or, TRACFIN ne s'embarrasse plus de cette exigence et la distinction entre la provenance des fonds et leur destination semble avoir disparu.

L'interview accordée par le directeur de TRACFIN au Conseil supérieur est, à cet égard, symptomatique. (https://formation.experts-comptables.org)

On y apprend que TRACFIN s'intéresse à « la détection des fraudes fiscales, sociales et douanières » et « lutte contre la prédation économique ».

Autrement dit, il est parfaitement assumé que TRACFIN s'intéresse à tout type d'infraction !

Outre que l'expert-comptable est peut-être enclin à lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme, mais qu'il pourrait être légitiment moins zélé lorsqu'il s'agit de remettre entre les mains d'un procureur son client en délicatesse avec l'URSSAF, un retour au texte s'impose.

La déclaration de soupçon tient son régime de l'article L-561-15 du Code monétaire et financier.

(…) I. – Les personnes mentionnées à l'article L. 561-2 sont tenues, dans les conditions fixées par le présent chapitre, de déclarer au service mentionné à l'article L. 561-23 les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme.
II. – Par dérogation au I, les personnes mentionnées à l'article L. 561-2 déclarent au service mentionné à l'article L. 561-23 les sommes ou opérations dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une fraude fiscale lorsqu'il y a présence d'au moins un critère défini par décret.

Le terme « proviennent » est clair tout comme la définition même du blanchiment qui vise, aux termes de l'article 324-1 du Code pénal soit « l'origine des fonds » soit le « produit direct ou indirect d'une infraction ».

Or, pourquoi tous les acteurs escamotent ces termes clairs visant une situation précise ?

La raison en est simple

Sur un plan technique, la frontière est parfois ténue entre l'infraction principale et son blanchiment.
La supprimer purement et simplement permet de s'économiser un effort de qualification juridique.

Sur un plan politique, et c'est la troisième tromperie, force est de constater que Bercy, par le biais de TRACFIN, s'est ouvert un point d'entrée exceptionnel dans les cabinets d'expertise-comptable qui, après avoir sécurisé l'assiette de l'impôt, sont aujourd'hui devenus les gardiens de l'ordre public économique.

L'ennui est qu'ils n'ont rien demandé ni accepté.

Et entendre le directeur de TRACFIN expliquer qu'en 2017 le champagne avait été ouvert car la barre des 500 déclarations avait été franchie, mais qu'hélas le champagne a été refermé en 2018, car seulement 466 déclarations ont été relevées laisse présager le pire (Cf. vidéo précité).
« Il faut se remobiliser » conclut l'intéressé !

Souhaitons que les experts-comptables se remobilisent en effet mais pour :

  • Résister à l'ingérence de Bercy (à cet égard le Conseil supérieur de l'Ordre doit demeurer l'autorité de contrôle) ;
  • Redéfinir clairement leur position vis-à-vis de l'Etat et vis-à-vis de leurs clients, car TRACFIN a insidieusement fondamentalement changé la donne.
  • Réfléchir à leur positionnement dans l'économie moderne, celle de TRACFIN, des caisses automatisées et de la centralisation en une seule main de données personnelles qui permettront un contrôle total et un gouvernement par la statistique.

Revenir aux fondamentaux serait salutaire : la lettre des textes et seulement la lettre des textes, sans interprétation outrancière, tout en rappelant le rôle essentiel du secret professionnel, qui n'a pas seulement pour but de protéger le client, puisque sa vocation première est la protection du corps social (Cf. sur ce point notre prochaine lettre).

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