Gasbaoui avocats
GESTION DU RISQUE PROFESSIONNEL

La présente lettre et celles qui suivront chaque mois sont issues de cas judiciaires, desquels sont induites quelques leçons à retenir, et donc quelques conseils à délivrer à vos clients.

La régularisation demandée à l'expert-comptable : 
« Tout est en règle, mais j'ai pas fait les papiers »

LA GESTION DU RISQUE PROFESSIONNEL

Tout professionnel du chiffre a déjà été confronté à cette situation délicate où un client potentiel, sans doute de bonne foi, mais dont la rigueur n’est pas la principale qualité, lui explique n’avoir jamais « fait les papiers » tout en précisant que « tout est en règle ».

Les assemblées générales n’ont pas été tenues, les comptes n’ont pas été établis et la question des pièces justificatives est en suspens. Accepter un tel dossier sans s’interroger sur son éventuelle responsabilité serait une erreur et la réponse à donner doit découler d’une première analyse du dossier ; elle doit être mise en perspective avec :

  • Un risque de mise en cause future par le client qui, par exemple, pourra être inquiété sur le plan fiscal, et qui se défaussera sur son expert-comptable ;
  • Un risque de mise en cause par le mandataire liquidateur qui, si la société périclite, cherchera à récupérer des actifs pour désintéresser des créanciers ;
  • Voire un risque de mise en cause pénale, en qualité de complice, pour des infractions pouvant aller du faux à la banqueroute, en passant pas l’abus de biens sociaux et la présentation de comptes non fidèles.

A ce stade, il ne faut verser ni dans la désinvolture ni dans le catastrophisme, même si, instinctivement, cette catégorie de dossiers doit susciter les plus expresses réserves.
Il faut en effet garder présent à l’esprit qu’une mission ne peut être acceptée que si elle peut être menée à bien et qu’il n’y a pas de mission partielle.
Votre implication émotionnelle, votre temps passé, votre désintéressement, votre dévouement, seront appréciés par Dieu ou toute autre autorité de laquelle vous vous sentez justiciables mais les magistrats qui évalueront, le cas échéant, votre responsabilité n’en auront cure !

Une seule question sera posÉe : avez-vous agi en professionnel diligent ?

Les excuses suivantes n’auront qu’une portée judiciaire limitée et pourront même être accablantes :

  • « J’ai fait ce que j’ai pu avec ce qu’on m’a donné : la comptabilité est incomplète mais c’est mieux que rien » ;
  • « Je n’ai pas été payé, donc mes équipes n’ont passé que peu de temps sur les dossiers » ;
  • « Le client n’était pas fiable ».

La notion de comptabilité incomplète n’existe pas, ou plutôt, si elle existe, c’est sous forme de délit, puisque le délit de banqueroute est sanctionné à ce titre !

C’est dire que mieux vaut éviter de développer cette idée.
Ne pas être réglé de ses honoraires peut éventuellement être une excuse pour ne pas travailler mais pas pour mal travailler.
Quant à la fiabilité du client, il n’y a pas lieu de tergiverser : si le client n’est pas fiable, il ne faut pas entrer en relation contractuelle avec lui. C’est d’autant plus important qu’un expert-comptable ne peut, à lui seul, réorganiser une comptabilité et que la collaboration de son client est fondamentale.

Au stade de l’acceptation du dossier la question est donc simple : les éléments qui me sont communiqués me permettront-ils d’agir en professionnel diligent ?

La première exigence de ce dernier est de cadrer sa mission.
Il ne faut en effet jamais oublier que si l’expert-comptable a des obligations légales et déontologiques, il demeure contractuellement lié à son client.
C’est précisément le sens de la lettre de mission, qui est trop souvent transposée de client à client sans adaptation.

Or, c’est dans ces situations singulières que le sur-mesure s’impose. Tout d’abord, les conditions dans lesquelles vous avez été saisi doivent être énoncées.
Le retard accusé avant votre prise de mission vous sera peut-être reproché l’année qui suit !

Donc il faut acter l’état du dossier au jour de sa découverte par votre cabinet.
Un préambule pourra ainsi décrire pour quelle raison vous avez été désigné par le client en qualité d’expert-comptable et quels sont les écueils du dossier.

Ensuite, il faudra préciser les conditions de votre collaboration avec, le cas échéant, une clause de "sortie".

Il n’est pas interdit d’imposer au client une collaboration renforcée et une fin de mission si certaines exigences ne sont pas satisfaites.

AINSI :

" M. X communique des relevés bancaires du 5 février au 20 septembre. Il s’engage à communiquer des pièces attestant la contrepartie des flux sous un délai d'un mois. Dans la négative, le cabinet ne pourra mener à bien sa mission et la présente lettre sera résiliée."

Après ces mesures préalables, vient le stade de l’exécution de la mission qui doit lui s’accompagner d’une précaution élémentaire qui sera, tant elle est fondamentale, l’unique énoncée dans la présente lettre : ne jamais antidater un acte.
Même si a priori nul ne viendra se plaindre de l’existence du document, cela pourrait en effet constituer une infraction pénalement répréhensible au titre de l’article 441-1 du Code pénal, c’est-à-dire un faux.
C’est vrai pour tout acte créant des effets de droit.

Par exemple, même si tous les associés sont a priori d’accord, la rédaction de procès-verbaux d’assemblée générale a posteriori constitue un faux. (V. par ex. Crim. 6 septembre 2000, n°00-80327).

Les assemblées générales se réuniront donc à leur date effective, et vous prendrez soin d’accompagner le client dans la rédaction d’un préambule expliquant précisément le déroulement des faits, et le cas échéant les raisons qui ont conduit à un tel retard.

Les logiciels informatiques font parfois oublier l’essentiel : avant d’être un document exigé par le greffe avec des mentions obligatoires, un procès-verbal a pour but de décrire ce qui s’est passé, de donner une image fidèle des décisions prises !

De même, s’agissant des comptes annuels, les événements doivent également être repris chronologiquement.
Reprendre des comptes non-clôturés alors qu’ils sont très anciens est un risque parfaitement inutile.

On peut en effet déduire de l’article 313-3 du plan comptable général la solution à une telle problématique :

"Les corrections résultant d’erreurs, d’omissions matérielles, d’interprétations erronées ou de l’adoption d’une méthode comptable non admise, sont comptabilisées dans le résultat de l’exercice au cours duquel elles sont constatées ; l’incidence, après impôt, des corrections d’erreurs significatives est présentée sur une ligne séparée du compte de résultat, sauf lorsqu’il s’agit de corriger une écriture ayant été directement imputée sur les capitaux propres".

Autrement dit, rien ne sert de remonter à l’origine du mal et mieux vaut éviter de perturber la chronologie des faits en intervenant sur des exercices où vous ignoriez jusqu’à l’existence du client.

De même encore, ne jamais oublier qu’un flux en l’absence de facture sur l’année N, ne doit pas donner lieu à des factures antidatées : la notion de facture à établir a un sens, et ce n’est donc que sur l’année suivante que la facture sera émise, avec la bonne date !
Sur un plan technique, les solutions les plus simples sont parfois écartées, au profit de méthodes très risquées pour le professionnel du chiffre.

Il faut donc se garder de verser dans ces travers et revenir aux fondamentaux !

Enfin, pour la suite de la mission et sur un plan davantage psychologique, il est indispensable de sensibiliser le collaborateur en charge de ce dossier à la nécessité de formaliser tous les échanges et imposer un suivi très serré.

L’expérience montre hélas que certains clients ne réagissent qu’acculés et qu’une fois la situation rétablie (grâce à vos efforts) les bonnes résolutions sont rapidement oubliées :  le naturel ressurgit !

Il faudra alors songer à démissionner, question que nous évoquerons lors de la prochaine lettre mensuelle.

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